Rp

Naïr

Naïr était bien loin de tout cela, au sens propre comme au sens figuré. A l'autre bout du champs de bataille, inconscient de la place meurtrière que tiens son "commandant", il réfléchissait, coupé du monde. Son corps frappait comme tout les autres certes, sa sensibilité de gamin mise à l'écart. Dans un état second, il calculait, évaluait les chances de survie. Leurs chances de survie, lui et toute la garnison ni plus ni moins. Les pertes se faisaient sentir des deux côtés, le sang battait aux tempes de chaque combattant qui luttait pour sa survie. Les cris fusaient, ordre ou douleur, rage guerrière ou encore de peur maladive.
Réfléchis, se tança-t-il. Trouve.
Dans le monde de violence, il n'y a plus de place pour les sentiments. Seule l'action demeure certaine, et si c'est elle qui vous a mis dans les problèmes jusqu'au cou, c'est à elle et uniquement elle que vous devez de vous en sortir.
Réfléchis. Trouve.
Un détail. Un simple détail, un effort de mémoire, qui pouvait tout sauver ou tout perdre. Il y avait une faille dans la sécurité. Quelque chose clochait. Quoi ? Son cerveau de stratège tournait à plein régime, annihilant toute forme d'émotions, tandis qu'il esquivait, envoyait un poignard dans le front de quelqu'un, se jetait sur le côté, atterrissant sur la terre souillée. Il jouait sur la rapidité. La surprise de trouver un gamin laissait bien souvent une poignée de secondes qui lui permettait d'agir.
Rembobine. Rappelles-toi ce qu'on t'a dit, ce que tu as vu.
Aglaran qui explique le plan à tous, omettant des détails destinés à eux-seuls. Puis le jeune garçon qui parcoure le lieu des yeux : les premières lignes dirigées vers l'est et le centre, l’artillerie qui se prépare, les arbalètes géantes qui s'arment...
Soudain, il mit le doigt sur ce qui n'allait pas et comprit le point faible du dispositif.

"Je sais !" hurla Naïr sans même s'en rendre compte.

Quelques soldats se retournèrent, contemplèrent le gamin qui se met à frapper avec ardeur, incitant tout combattant, adversaire ou pas, à se pousser hors de sa route, le prenant pour un de ces dégénérés qui ne se révèlent qu'au moment de la bataille, un de ces gentils fous qui nous font pitié par leur fragilité d'esprit qui a cédé au mauvais moment, dans la dureté même de l'homme. Ceux qui finissent par le suicide, la seule échappatoire à la vision qu'ils se sont faite du monde.
Pourtant, ce fou-ci semblait bien avoir toute sa tête, et se dirigeait tant bien que mal vers le flanc ouest qui se teintait de rose au soleil couchant. Depuis combien de secondes, de minutes, d'heures même, combattaient-ils sans fléchir ?..
Des silhouettes se faufilaient vers la ligne d'artillerie, justement. Des silhouettes aux couleurs des Romulda, mais au visage inconnu. Des silhouettes, qui, dans l'obscurité croissante, allaient passer inaperçu. Il ne fallut pas longtemps aux hommes pour comprendre que ce singulier jeune garçon, qui que ce soit, avait vu juste.
Avec une endurance plus que surprenante, celui-ci était déjà parvenu à la moitié du parcours qui le séparait de son but. Les hommes se regardèrent, hésitant à aller prêter main forte à un gamin dément. Puis un supérieur cria.

"Aller l'aider, bande de crétins !"

Ils ne se firent pas prier et s'élancèrent à la suite de Naïr, qui y était presque. Il avait perdu son dernier poignard, mais n'hésita pas à se jeter sur l'un des ennemis camouflés en Romulda, et à se battre à mains nues. Les Célestiny, se sachant découvert, se mirent à trois sur le môme qui griffait, mordait, crachait, avant de réussir à prendre une arme à terre et à s'en servir d'une étrange façon; étrange, mais efficace; balayant l'air et frappant juste.

Naïr

Naïr jura. Le terrain ne lui facilitait pas la tâche et il était seul. Pourtant il continuait à frapper. On lui planta un dar dans l'épaule. L'épée était déjà couverte de sang lorsqu'il lâcha l'arme et se fit plaquer à terre. Ses agresseurs le dévisagèrent.

"Mais... Ce n'est qu'un gamin !"

Naïr voyait trouble. Un Célestiny tomba, une flèche dans la gorge.

"On s'arrache !" hurla le troisième.

Ses coéquipiers revinrent à contrecoeur.. Ils savaient tous ce qu'on leur réserverait pour avoir échoué dans leur entreprise. L'un d'eux sort un couteau et le place sous le menton de Naïr. Le métal froid renforça le goût de sang qui règnait dans l'air.

"Celui-ci payera pour tous les autres..."

Une flèche se planta dans son bras et il poussa un couinement de douleur. Naïr, insondable, le regarda gémir tandis qu'un autre venait l'aider.

"On embarque le gamin, siffla-t-il, nous saurons comment il nous a découvert... Et puis, notre maîtresse s'amusera avec..."

Un rire s'échappa de sa gorge tandis qu'un autre se faisait toucher, s'effondrant sur le sol. Mort. Ils emportèrent le gamin, l'assomant pour qu'il ne tente rien, et s'effacèrent dans les ténèbres de la nuit.